Concept Stores / Le Tigre

Pour commencer je disposais de deux photographies (113 et 123) “prises en passant”, simplement parce qu’il m’avait paru amusant de documenter ces boutiques “conceptuelles”. Mais passée la tentation facile d’une certaine condescendance j’ai pensé qu’il y avait dans le recyclage de ce mot un équivalent linguistique du tuning qui renvoyait à la question de l’identité. Qu’il y avait en effet, dans le décalage considérable entre le territoire dont ce terme était originaire et celui qui l’avait adopté, quelque chose susceptible de tracer une ligne parallèle à celle de mon histoire.
Par quel cheminement peu vraisemblable, la culture populaire avait-elle absorbé ce vocable savant pour en faire un slogan synonyme d’innovation et d’audace dans des domaines aussi triviaux que la coiffure, la communication ou les capteurs solaires ? Et, par extension, comment des cultures à priori éloignées voir étrangères, s’accommodaient et s’interpénètraient les unes les autres pour finalement appartenir à tous, c’est-à-dire à personne ?
Les mots voyagent, s’adaptent ou sont adoptés. Ils dérivent aussi, se déracinent, se perdent. Ils sont comme des migrants en quête d’une terre d’accueil avec tous les malentendus que cela suppose. Ils sont des êtres errants, finalement.
Progressivement, l’idée de faire des boutiques concepts, une série qui compléterait celles des skateparks et des restaurants chinois s’est imposée sans qu’au fil de mes voyages, par la prolixité du hasard, j’en trouve d’autres. C’est donc, au moyen des Pages Jaunes, puisqu’en l’occurrence ces lieux pour étaient une fois répertoriés, que je me suis mis à les rechercher. Muni de listes où se côtoyaient toutes sortes de commerces improbables et assisté d’un GPS, je suis parti confiant dans la mise en œuvre de mon projet. Mais la théorie n’est pas la pratique. J’ai pu en vérifier l’écart. Combien de dizaines d’adresses, au terme de combien de détours dans les recoins les plus discrets de pratiquement toutes les villes du Nord de la Loire débouchaient sur des devantures sans enseigne, des changements de propriétaires ou des rues qui avaient purement et simplement disparu ? Rassembler ces 28 images fut un exercice laborieux, une quête obsédante, une entreprise souvent décourageante, quoique ponctuée d’instants d’euphorie véritable. À l’évidence, le concept avait connu un âge d’or, seulement j’arrivais un peu tard. D’abord confidentiel avant de devenir commun, il avait fini par se diluer jusqu’à se vider de tout pouvoir d’évocation ou de séduction.
Cette exploration s’achevait ainsi, sur ce constat plutôt navrant - si ce n’est les quelques spécimens récalcitrants auxquels ce livre rend hommage - silencieusement les “Concept Stores” disparaissaient.